Ç’avait été facile... by Marianne Dissard

 

 
 
HOME ARCHIVE [Previous entry: "Plants and Animals by James DiGiovanna"][Next entry: "4 Stories by Evelyn Hampton"]
Ç’avait été facile... by Marianne Dissard

05/10/2009

Ç’avait été facile. Il avait hésité, les doigts suspendus au dessus du clavier, mais le mot s’était finalement imposé à lui. Jadore. Six lettres. Le mot de passe de la messagerie de sa femme. Jadore. Le nom de son parfum, le parfum qu’il lui avait offert il y a dix ans pour leur premier anniversaire de mariage. “j a d o r e”.
     A ce moment-là, il s’était reversé un café et avait enfilé des chaussons de laine. Il venait de mettre sa femme dans un taxi. Elle partait à Nice pour la semaine, en voyage d’affaire. Son “J’adore” allait envahir la cabine. Elle en mettait toujours beaucoup trop. Lui la sentait encore dans la chambre. Il s’assit à son ordinateur et se mit à lire.
     C’était il y a deux ans. Depuis le jour où il avait découvert le mot de passe, il suivait, de message en message, la relation de sa femme et d’un type nommé Jeff. Hier, l’homme avait demandé à sa femme s’ils étaient lus. C’est que, ce soir, pour la première fois, il avait écrit au type. Son message contenait un point d’interrogation et pas plus. En réponse, le lendemain matin, il ouvrit un message qui contenait un point d’exclamation. Il n’avait pas répondu. Répondre un point? Une parenthèse? Un X?
     La porte de la salle de bain claqua. Il avait fait froid ce matin. Il allait pleuvoir avant la fin de la journée. Les plantes en avaient grand besoin. Il les négligeait. Il se leva et sortit de son bureau. Dans la cuisine, sa femme préparait une salade de tomates. Il piocha une rondelle dans l’assiette. “Tu veux que je t’aide?”. Elle n’avait pas répondu.
     Il n’avait avoué son secret à personne. Ç’avait été facile, il avait suffi de ne rien dire la première fois. Au début, deux ou trois de ses amis l’avaient trouvé un peu abattu. Puis, il était devenu l’ami qui déprime, celui dont on s’inquiète un peu et puis dont on s’éloigne. Les visites se faisaient plus rares. Les invitations aussi. Lui s’occupait du feuilleton des amours de sa femme et du type. Le type aimait repasser en détail les heures qu’ils passaient ensemble, en voyage, ailleurs. Elle n’était jamais partie plus de trois ou quatre jours par mois mais elle lui semblait plus proche pendant ce temps-là que, là, dans sa cuisine, avec sa salade de tomates.
     Elle, dans ses messages, elle disait au type le voir en rêve, penser à eux comme à un conte de fée. Elle lui disait porter encore son odeur. Il lui disait combien elle sentait bon. Elle décrivait les marques de coups, les bleus qui noircissaient au fil de la semaine. Il disait son plaisir à mots crus. Elle parlait de son mari, de la tête qu’il tirait toute la journée, qu’elle en avait marre de sa tête. Il ne disait pas qu’il voulait d’elle chez lui, qu’il voulait qu’elle quitte sa vie mais il disait vouloir lui cuisiner un beuf en sauce la prochaine fois.
     Plus le temps passait et moins il voyait comment cesser ses lectures.
     Il s’était assis à la table avec sa femme. Elle lui demanda ce qu’il avait fait ce matin. Il répondit qu’il ne savait plus, qu’il avait oublié, que ça n’avait pas d’importance. Il lui demanda quand elle comptait repartir.

----------
Born in France, now living in Tucson, AZ. Primarily a singer and lyricist nowadays. Previously a documentary filmmaker and the 'rose girl' of downtown Tucson.